d’après Agranska Krolik
Nombre de citations du personnage dans chacun des sept livres de la Recherche
Total |
Swann |
JF |
Guer |
SG |
Pris |
Fug |
TR |
87 |
14 |
0 |
2 |
52 |
18 |
0 |
1 |
Modèle possible : M. Seignette, professeur de physique de Marcel Proust en classe de rhétorique.
Ancien archiviste, fortuné, issu d’une famille noble (c’est le beau-frère du comte de Forcheville). Homme foncièrement bon et simple, d’une grande timidité, il recherche le contact humain mais fait souvent preuve de maladresse (1). Il fréquente assidûment le salon des Verdurin qui se disent être ses amis, en fait, il est leur souffre-douleur ainsi que celui de la « petite bande ». Parfois la cruauté des convives à son égard atteint des sommets surprenants (2). Les Verdurin sont heureux d’avoir tous les soirs à leur table un bouc émissaire mais pour que Saniette n’abandonne pas définitivement leur salon, ils alternent savamment méchanceté et paroles aimables. Lorsque, encouragé par l’acquiescement des convives, M Verdurin devient par trop cruel et grossier envers le falot Saniette, sa femme intervient pour le tempérer, non pas par bonté d’âme mais tout simplement pour que Saniette ne quitte pas le salon (3). Mais les remissions sont de courte durée et les attaques reprennent de plus belle. Malgré les humiliations, Saniette retourne fidèlement chez ses bourreaux comme un chien battu retourne chez son maître (est-ce un hasard si le nom de « Saniette » est l’anagramme de « Sainteté » ?).
Les fidèles du salon des Verdurin éprouvent un grand plaisir à assister au supplice de Saniette (4). Madame Verdurin, moins brutale n’en est pas moins cruelle puisqu’elle n’hésite pas à faire allusion à la pauvreté de Saniette qui s’est ruiné en voulant aider un ami (5). Le narrateur souffrant de voir le « petit clan » persécuter ainsi Saniette tente alors de changer le sujet de la conversation (6).
Après un concert donné chez les Verdurin, M. Verdurin ne tolère pas que Saniette ose formuler une critique, pourtant très mesurée, sur la manière qu’a eu Morel d’exécuter l’œuvre musicale et il le met brutalement à la porte à la grande joie des autres convives ; averti que celui-ci a été pris d’un malaise à la suite de cette algarade, M. Verdurin, pour ne pas gâcher sa soirée, veut ignorer la gravité de la chose. Saniette va mourir quelques semaines plus tard des suites de cette attaque (7).
Proust s’est-il trompé dans ses paperolles car on apprend un peu plus loin que Saniette a survécu à cette attaque pendant plusieurs années mais s’est retrouvé ruiné en voulant aider un ami dans le besoin. Comme pour racheter leur mauvaise conduite les Verdurin décident alors de lui servir une rente pour lui permettre de terminer ses jours paisiblement (8).
(1) |
Swann demanda à faire la connaissance de tout le monde, même d’un vieil ami des Verdurin, Saniette, à qui sa timidité, sa simplicité et son bon cœur avaient fait perdre partout la considération que lui avaient value sa science d’archiviste, sa grosse fortune, et la famille distinguée dont il sortait… (Swann 203/298) |
(2) |
Soit que Forcheville sentant que Saniette, son beau-frère, n’était pas en faveur chez eux, eût voulu le prendre comme tête de Turc et briller devant eux à ses dépens, soit qu’il eût été irrité par un mot maladroit que celui-ci venait de lui dire et qui, d’ailleurs, passa inaperçu pour les assistants qui ne savaient pas quelle allusion désobligeante il pouvait renfermer, bien contre le gré de celui qui le prononçait sans malice aucune, soit enfin qu’il cherchât depuis quelque temps une occasion de faire sortir de la maison quelqu’un qui le connaissait trop bien et qu’il savait trop délicat pour qu’il ne se sentît pas gêné à certains moments rien que de sa présence, Forcheville répondit à ce propos maladroit de Saniette avec une telle grossièreté, se mettant à l’insulter, s’enhardissant, au fur et à mesure qu’il vociférait, de l’effroi, de la douleur, des supplications de l’autre, que le malheureux, après avoir demandé à Mme Verdurin s’il devait rester, et n’ayant pas reçu de réponse, s’était retiré en balbutiant, les larmes aux yeux. (Swann 276/388) |
(3) |
M. Verdurin fut heureux de constater que Saniette, malgré les rebuffades que celui-ci avait essuyées l’avant-veille, n’avait pas déserté le petit noyau. En effet, Mme Verdurin et son mari avaient contracté dans l’oisiveté des instincts cruels à qui les grandes circonstances, trop rares, ne suffisaient plus. On avait bien pu brouiller Odette avec Swann, Brichot avec sa maîtresse. On recommencerait avec d’autres, c’était entendu. Mais l’occasion ne s’en présentait pas tous les jours. Tandis que, grâce à sa sensibilité frémissante, à sa timidité craintive et vite affolée, Saniette leur offrait un souffre-douleur quotidien. Aussi, de peur qu’il lâchât, avait-on soin de l’inviter avec des paroles aimables et persuasives comme en ont au lycée les vétérans, au régiment les anciens pour un bleu qu’on veut amadouer afin de pouvoir s’en saisir, à seules fins alors de le chatouiller et de lui faire des brimades quand il ne pourra plus s’échapper. (SG 900/293) |
(4) |
…quand il entendit M. Verdurin le questionner, tout en attachant sur lui un regard qui ne lâchait pas le malheureux tant qu’il parlait, de façon à le décontenancer tout de suite et à ne pas lui permettre de reprendre ses esprits. « Mais vous nous aviez toujours caché que vous fréquentiez les matinées de l’Odéon, Saniette ? » Tremblant comme une recrue devant un sergent tourmenteur, Saniette répondit, en donnant à sa phrase les plus petites dimensions qu’il put afin qu’elle eût plus de chance d’échapper aux coups : « Une fois, à la Chercheuse.— Qu’est-ce qu’il dit?, hurla M. Verdurin, d’un air à la fois écoeuré et furieux, en fronçant les sourcils comme s’il n’avait pas assez de toute son attention pour comprendre quelque chose d’inintelligible. « D’abord on ne comprend pas ce que vous dites, qu’est-ce que vous avez dans la bouche ? » demanda M. Verdurin de plus en plus violent, et faisant allusion au défaut de prononciation de Saniette. « Pauvre Saniette, je ne veux pas que vous le rendiez malheureux », dit Madame Verdurin sur un ton de fausse pitié et pour ne laisser un doute à personne sur l’intention insolente de son mari. » J’étais à la Ch…, Che…—Che, che, tâchez de parler clairement, dit M. Verdurin, je ne vous entends même pas. » Presque aucun des fidèles ne se retenait de s’esclaffer, et ils avaient l’air d’une bande d’anthropophages chez qui une blessure faite à un blanc a réveillé le goût du sang. (SG 933/324) |
(5) |
Mais aussi, dit Mme Verdurin, tu l’intimides, tu te moques de tout ce qu’il dit, et puis tu veux qu’il réponde. Voyons, dites, qui jouait ça ? on vous donnera de la galantine à emporter », dit Mme Verdurin, faisant une méchante allusion à la ruine où Saniette s’était précipité lui-même en voulant en tirer un ménage de ses amis. (SG 936/327) |
(6) |
Pour mettre fin au supplice de Saniette, qui me faisait plus de mal qu’à lui, je demandai à Brichot s’il savait ce que signifiait Balbec. (SG 936/327) |
(7) |
– Je crains seulement, répondit celui-ci en bégayant, que la virtuosité même de Morel n’offusque un peu le sentiment général de l’oeuvre.– Offusquer, qu’est-ce que vous voulez dire ? » hurla M. Verdurin tandis que des invités s’empressaient, prêts, comme des lions, à dévorer l’homme terrassé.« Oh ! je ne vise pas à lui seulement…– Mais il ne sait plus ce qu’il dit. Viser à quoi ?– Il… faudrait… que… j’entende… encore une fois pour porter un jugement à la rigueur.– A la rigueur ! Il est fou ! » dit M. Verdurin se prenant la tête dans les mains. « On devrait l’emmener.– Cela veut dire : avec exactitude, vous… dites bbbien… avec une exactitude rigoureuse. Je dis que je ne peux pas juger à la rigueur.– Et moi, je vous dis de vous en aller », cria M. Verdurin grisé par sa propre colère, en lui montrant la porte du doigt, l’oeil flambant. « Je ne permets pas qu’on parle ainsi chez moi! »Saniette s’en alla en décrivant des cercles comme un homme ivre.… cinq minutes ne s’étaient pas écoulées depuis l’algarade de M. Verdurin, qu’un valet de pied vint prévenir le Patron que M. Saniette était tombé d’une attaque dans la cour de l’hôtel.Mais la soirée n’était pas finie. « Faites-le ramener chez lui, ce ne sera rien », dit le Patron dont l’hôtel « particulier » , comme eut dit le directeur de l’hôtel de Balbec, fut assimilé ainsi à ces grands hôtels où on s’empresse de cacher les morts subites pour ne pas effrayer la clientèle, …Mort, du reste, Saniette ne l’était pas. Il vécut encore quelques semaines, mais sans reprendre que passagèrement connaissance. (Pris 265, note bas de page/253) |
(8) |
En somme, il a eu une première attaque, il ne pourra guère vivre plus de deux ou trois ans. Mettons que nous [M. et Mme Verdurin] dépensions dix mille francs pour lui pendant trois ans. Il me semble que nous pourrions faire cela. Nous pourrions, par exemple, cette année, au lieu de relouer la Raspelière, prendre quelque chose de plus modeste. Avec nos revenus, il me semble que sacrifier chaque année dix mille francs pendant trois ans ce n’est pas impossible. – Soit, seulement l’ennui c’est que ça se saura, ça obligera à le faire pour d’autres. – Tu peux croire que j’y ai pensé. Je ne le ferai qu’à la condition expresse que personne ne le sache. Merci, je n’ai pas envie que nous soyons obligés de devenir les bienfaiteurs du genre humain. Pas de philanthropie ! (Pris 324/312) |
Anatole France nommé Sariette le bibliothécaire de La révolte des anges
« Mort, du reste, Saniette ne l’était pas. Il vécut encore quelques semaines, mais sans reprendre que passagèrement connaissance »
Quelques semaines ou quelques années ? plus loin on apprend que c’est à l’enterrement de Saniette quelques années plus tard que Cottard (sa mort à lui aussi est indiquée dans un défaut de raccord quelques pages plus tôt ! ) informe M de la générosité des Verdurins décrit en (8).
il faut noter que si mon édition aussi comporte la scène (7) , elle est absente de la plupart de versions. La Prisonnière est le volume de la Recherche qui a été laissé par Proust dans l’état le moins définitif.