Le salon de Mme Verdurin

Le salon des Verdurin peint par Bruno Sari 

Pour faire partie du « petit noyau », du « petit groupe », du « petit clan » des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire : il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune pianiste, protégé par Mme Verdurin cette année-là et dont elle disait : « ça ne devrait pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça ! », « enfonçait » à la fois Planté et Rubinstein et que le docteur Cottard avait plus de diagnostic que Potain. Toute « nouvelle recrue » à qui les Verdurin ne pouvaient pas persuader que les soirées des gens qui n’allaient pas chez eux étaient ennuyeuses comme la pluie, se voyait immédiatement exclue. Les femmes étant à cet égard plus rebelles que les hommes à déposer toute curiosité mondaine et l’envie de se renseigner par soi-même sur l’agrément des autres salons, et les Verdurin sentant d’autre part que cet esprit d’examen et ce démon de frivolité pouvaient par contagion devenir fatal à l’orthodoxie de la petite église, ils avaient été amenés à rejeter successivement tous les « fidèles » du sexe féminin.

D’après Agranska Krolik

 

En dehors de la jeune femme du docteur, ils étaient réduits presque uniquement cette année-là (bien que Mme Verdurin fût elle-même vertueuse et d’une respectable famille bourgeoise excessivement riche et entièrement obscure avec laquelle elle avait peu à peu cessé volontairement toute relation) à une personne presque du demi-monde, Mme de Crécy, que Mme Verdurin appelait par son petit nom, Odette, et déclarait être « un amour » et à la tante du pianiste, laquelle devait avoir tiré le cordon ; personnes ignorantes du monde et à la naïveté de qui il avait été si facile de faire accroire que la princesse de Sagan et la duchesse de Guermantes étaient obligées de payer des malheureux pour avoir du monde à leurs dîners, que si on leur avait offert de les faire inviter chez ces deux grandes dames, l’ancienne concierge et la cocotte eussent dédaigneusement refusé.

Les Verdurin n’invitaient pas à dîner : on avait chez eux « son couvert mis ». Pour la soirée, il n’y avait pas de programme. Le jeune pianiste jouait, mais seulement si « ça lui chantait », car on ne forçait personne et comme disait M. Verdurin : « Tout pour les amis, vivent les camarades ! » Si le pianiste voulait jouer la chevauchée de la Walkyrie ou le prélude de Tristan, Mme Verdurin protestait, non que cette musique lui déplût, mais au contraire parce qu’elle lui causait trop d’impression. « Alors vous tenez à ce que j’aie ma migraine ? Vous savez bien que c’est la même chose chaque fois qu’il joue ça. Je sais ce qui m’attend ! Demain quand je voudrai me lever, bonsoir, plus personne ! » S’il ne jouait pas, on causait, et l’un des amis, le plus souvent leur peintre favori d’alors, « lâchait », comme disait M. Verdurin, « une grosse faribole qui faisait s’esclaffer tout le monde », Mme Verdurin surtout, à qui,—tant elle avait l’habitude de prendre au propre les expressions figurées des émotions qu’elle éprouvait,—le docteur Cottard (un jeune débutant à cette époque) dut un jour remettre sa mâchoire qu’elle avait décrochée pour avoir trop ri.

L’habit noir était défendu parce qu’on était entre « copains » et pour ne pas ressembler aux « ennuyeux » dont on se garait comme de la peste et qu’on n’invitait qu’aux grandes soirées, données le plus rarement possible et seulement si cela pouvait amuser le peintre ou faire connaître le musicien. Le reste du temps on se contentait de jouer des charades, de souper en costumes, mais entre soi, en ne mêlant aucun étranger au petit « noyau ».(Swann 188/279)

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3 réflexions sur « Le salon de Mme Verdurin »

  1. Pour poursuivre sur la dimension mondaine du salon de Mme Verdurin, il faut rajouter que le jeune Marcel qui, par sa liberté et son désir d’écriture s’oppose à tous ceux qui fréquentent ce salon qui n’est pas un haut lieu de la culture puisqu’il ne représente que le masque d’une vanité sociale, propre à la haute bourgeoisie de l’époque, plus soucieuse d’élévation sociale et d’aristocratie que de culture authentique. Marcel ne cherche pas à s’élever dans la sphère sociale vaine mais souscrit à l’idée que l’écriture est la vraie vie, en rejetant le milieu mondain faussement culturel.

    • Poésie offerte :
      « Marcel circule avec aisance dans le salon Verdurin
      Cet océan de médisance en fait un confident un ami parisien
      Tandis que la guerre gronde
      Les hommes souffrent
      La vanité libertine de cette société
      Nourrit son œuvre- refuge de son irrépréssible créativité  »
      Adèle Estelle

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