Un portrait sévère de Monsieur de Charlus

d’après Agranska Krolik
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Portrait sans complaisance fait par le Narrateur
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Je regardais M. de Charlus. Certes sa tête magnifique, et qui répugnait, l’emportait pourtant sur celle de tous les siens ; on eût dit Apollon vieilli ; mais un jus olivâtre, hépatique, semblait prêt à sortir de sa bouche mauvaise ; pour l’intelligence, on ne pouvait nier que la sienne, par un vaste écart de compas, avait vue sur beaucoup de choses qui resteraient toujours inconnues au duc de Guermantes. Mais de quelques belles paroles qu’il colorât ses haines, on sentait que, même s’il y avait tantôt de l’orgueil offensé, tantôt un amour déçu, ou une rancune, du sadisme, une taquinerie, une idée fixe, cet homme était capable d’assassiner et de prouver à force de logique et de beau langage qu’il avait eu raison de le faire et n’en était pas moins supérieur de cent coudées à son frère, sa belle-sœur, etc., etc.
— Comme dans les Lances de Vélasquez, continua-t-il, le vainqueur s’avance vers celui qui est le plus humble, comme le doit tout être noble, puisque j’étais tout et que vous n’étiez rien, c’est moi qui ai fait les premiers pas vers vous. Vous avez sottement répondu à ce que ce n’est pas à moi à appeler de la grandeur. Mais je ne me suis pas laissé décourager. Notre religion prêche la patience. Celle que j’ai eue envers vous me sera comptée, je l’espère, et de n’avoir fait que sourire de ce qui pourrait être taxé d’impertinence, s’il était à votre portée d’en avoir envers qui vous dépasse de tant de coudées ; mais enfin, monsieur, de tout cela il n’est plus question. Je vous ai soumis à l’épreuve que le seul homme éminent de notre monde appelle avec esprit l’épreuve de la trop grande amabilité et qu’il déclare à bon droit la plus terrible de toutes, la seule qui puisse séparer le bon grain de l’ivraie. (Guer 555/537)

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