Le bœuf à la gelée de Françoise

Achat par Françoise aux halles des morceaux de bœuf 

Aquarelle de Bernard Soupre (proustenaquarelles.com)

 

Le père du narrateur, diplomate distingué, a invité à déjeuner son supérieur hiérarchique, monsieur de Norpois, ancien ministre plénipotentiaire. Françoise, la fidèle cuisinière de la famille a décidé de se surpasser en mettant au menu son fameux bœuf à la gelée.

Le marquis de Norpois par David Richardson

A la surprise générale, le marquis de Norpois, homme compassé, ennuyeux et peu enclin aux amabilités ne tarit pas d’éloges envers la cuisinière.   

Avant de quitter la maison, il [le père du narrateur] dit à ma mère : « Tâche d’avoir un bon dîner ; tu te rappelles que je dois ramener de Norpois ? » Ma mère ne l’avait pas oublié. Et depuis la veille, Françoise, heureuse de s’adonner à cet art de la cuisine pour lequel elle avait certainement un don, stimulée, d’ailleurs, par l’annonce d’un convive nouveau, et sachant qu’elle aurait à composer, selon des méthodes sues d’elle seule, du bœuf à la gelée, vivait dans l’effervescence de la création ; comme elle attachait une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de son œuvre, elle allait elle-même aux Halles se faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau,…

….

Le bœuf froid aux carottes fit son apparition, couché par le Michel-Ange de notre cuisine sur d’énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent.

 » — Vous avez un chef de tout premier ordre, madame, dit M. de Norpois. Et ce n’est pas peu de chose. Moi qui ai eu à l’étranger à tenir un certain train de maison, je sais combien il est souvent difficile de trouver un parfait maître queux. Ce sont de véritables agapes auxquelles vous nous avez conviés là. »

Et, en effet, Françoise, surexcitée par l’ambition de réussir pour un invité de marque un dîner enfin semé de difficultés dignes d’elle, s’était donné une peine qu’elle ne prenait plus quand nous étions seuls et avait retrouvé sa manière incomparable de Combray.

— Voilà ce qu’on ne peut obtenir au cabaret, je dis dans les meilleurs : une daube de bœuf où la gelée ne sente pas la colle, et où le bœuf ait pris parfum des carottes, c’est admirable ! Permettez-moi d’y revenir, ajouta-t-il en faisant signe qu’il voulait encore de la gelée. Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant sur un mets tout différent, je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le bœuf Stroganof.

L’Ambassadeur, lui dit ma mère, assure que nulle part on ne mange de bœuf froid et de soufflés comme les vôtres. » Françoise avec un air de modestie et de rendre hommage à la vérité, l’accorda, sans être, d’ailleurs, impressionnée par le titre d’ambassadeur ; elle disait de M. de Norpois, avec l’amabilité due à quelqu’un qui l’avait prise pour un « chef » : « C’est un bon vieux comme moi. »

« Mais enfin, lui demanda ma mère, comment expliquez-vous que personne ne fasse la gelée aussi bien que vous (quand vous le voulez) ? » « Je ne sais pas d’où ce que ça devient », répondit Françoise (qui n’établissait pas une démarcation bien nette entre le verbe venir, au moins pris dans certaines acceptions et le verbe devenir). Elle disait vrai du reste, en partie, et n’était pas beaucoup plus capable — ou désireuse — de dévoiler le mystère qui faisait la supériorité de ses gelées ou de ses crèmes, qu’une grande élégante pour ses toilettes, ou une grande cantatrice pour son chant. Leurs explications ne nous disent pas grand chose ; il en était de même des recettes de notre cuisinière. « Ils font cuire trop à la va-vite, répondit-elle en parlant des grands restaurateurs, et puis pas tout ensemble. Il faut que le bœuf, il devienne comme une éponge, alors il boit tout le jus jusqu’au fond. (JF 445/17)

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Proposition d’une recette du bœuf-carottes à la gelée

 

 

Et oui ! j’ai osé tenter l’aventure et par un beau matin d’hiver j’ai réalisé mon bœuf-carottes à la gelée façon Françoise. Je ne suis pas le mieux placé pour porter un jugement mais mes enfants réunis à cette occasion n’ont pas tari d’éloges. Il est vrai qu’ils sont gentils et bien élevés.

Voici ma recette :

Pour 6 personnes

  • 1,2 kg de paleron

  • 1 pied de veau coupé en deux

  • 3 carottes

  • 1 navet

  • 1 oignon piqué de deux clous de girofle

  • 1 poireau

  • 3 gousses d’ail

  • 1 branche de céleri

  • quelques brins de persil plat

  • 5 grains de poivre

  • 1 bouquet garni

  • Gros sel

  • 20 cl de vin blanc sec

  1. Mettre la viande et le pied de veau dans un grand faitout, couvrir d’eau, ajouter le vin blanc et porter à ébullition. 

  2. Pendant ce temps éplucher, laver les légumes. Dès que l’eau bout, écumer soigneusement puis ajouter les légumes et les autres ingrédients, saler et poivrer et laisser cuire 2 heures 30 à feu doux.

  3. Découper le bœuf en petits cubes.

  4. Taillez les carottes en rondelles épaisses, couper les autres légumes en petits morceaux.

  5. Passer le bouillon au chinois fin, vérifier son assaisonnement et laisser tiédir.

  6. Versez une couche de bouillon de quelques mm d’épaisseur au fond d’une terrine, ajoutez quelques brins de persil, des rondelles de carottes et laissez prendre au frais.

  7. Remplir la terrine en ajoutant les cubes de viande, les carottes et les autres légumes coupés

  8. Recouvrir l’ensemble avec le bouillon tiède.

  9. Mettre 12 heures au réfrigérateur avant de servir avec des cornichons et des petits oignons.

* Le pied de veau sert essentiellement à permettre au jus de cuisson de gélifier lorsqu’il est froid sans qu’il soit nécessaire d’ajouter de la poudre ou des feuilles de gelée industrielles. Il est possible d’ajouter aux morceaux de bœuf la chair du pied de veau coupée en petits dés mais attention, certains n’apprécient pas le côté un peu gélatineux de ces morceaux.

 

 

 

 

 

 

 

6 réflexions sur « Le bœuf à la gelée de Françoise »

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