Jackie Kennedy, de Gaulle, Malraux… et Proust

Merci à Pierre Odolant pour m’avoir autorisé à reproduire ici le passionnant article qu’il vient de publier sous le nom :

Icône for ever

À Versailles, réception officielle, juin 1961

Ô Jackie ! Celle qui évoqua Proust et Balzac avec Malraux et le contredit…

Retour d’exposition « Jackie et l’Amérique des Kennedy ». Magnifique accrochage des photos, très onéreux mais formidable catalogue. Une exposition sur les États-Unis, pas seulement sur le couple présidentiel.

Sur Jackie (1929-1994), tout a été dit, alors, aujourd’hui, juste quelques lignes sur les échanges qu’elle eut pendant deux ans avec André Malraux, écrivain devenu ministre des Affaires Culturelles du général de Gaulle.

Nous sommes au printemps 1961. À Versailles, le dîner est somptueux, Jackie, 31 ans, est assise à la gauche du général, il sera charmé par son français et sa connaissance de notre histoire.

Malraux assiste au dîner, il vient de perdre les deux fils qu’il avait eus avec Josette Clotis.

Il est arrivé avec Madeleine, sa deuxième épouse, pareil à un corbeau,  « avec tous ses tics » dira Jackie.

Mais, le lendemain, il lui fait les honneurs du musée du Jeu de Paume, compare la naissance de Vénus de Bouguereau à l’Olympia de Manet. Fascinée, elle l’écoute. Elle profite d’un silence et rappelle l’admiration de Proust pour Manet, et spécialement l’Olympia. Au nom de Proust, Malraux tique (!), il l’a un peu oublié, pas sa tasse de thé. Elle vole à son secours, dit n’avoir pas de mérite car c’est récemment, en 1959, qu’elle l’a lu. Il respire, elle lui sourit. « Votre Goncourt de 1933 et le sien sont ceux qui m’ont le plus marquée ». À cette évocation de « La Condition humaine » il se relance ; passent la Chine, le communisme et la révolution, ses combats, sa résistance, il affirme avoir fait se rencontrer l’Orient et l’Occident…

Parfois, un tableau fait diversion, mais la littérature revient en trombe. Proust, dit-il, Sartre a eu tort de vouloir l’enterrer, mais il faut convenir que l’univers de Proust n’était pas un monde à construire, celui que j’ai couru, Proust allait dans les salons chics, revenait dans sa chambre et analysait son amour de lui-même. Balzac, lui a analysé les mécanismes sociaux, brassé hommes et femmes, créé des types éternels, Grandet, Rastignac…

Jackie sait nager, sous le déluge elle sourit et dit à Malraux « Décidément, la grandeur de Proust s’est pour vous épuisée avec le temps, réduite comme la peau de chagrin de Balzac, mais je vous assure qu’aux Etats-Unis, il est comme Balzac bien vivant ».

En mai 1962, Jackie organise un grand dîner Arts et Lettres à la Maison Blanche, Malraux et son épouse sont aux places d’honneur, lui à la droite de l’hôtesse. Alain Malraux, neveu d’André, affirme que ce dernier fut, le dîner durant, ostensiblement sous le charme de sa voisine.

C’est ce soir-là que Jackie lui demanda d’autoriser une visite de La Joconde à New York.

En janvier 1963, le couple Malraux rejoignit Mona Lisa à New York et fut célébré, le ministre n’eut à nouveau d’yeux que pour Jackie, laissa tomber Vinci.

Mais l’amitié se délita. Malentendus transatlantiques, humaine comédie, temps qui passe…

Et puis, et puis…

Le 5 décembre 1963, Jacqueline Bouvier veuve Kennedy quitta la Maison Blanche, son fils dans les bras. L’exposition s’arrête à cette date.

L’icône choisit de quitter son piédestal, pour réapprendre à rire, lire, vivre.

Elle échoua. Icône elle reste pour beaucoup.

PS : L’exposition de Saint-Rémy-de-Provence a été prolongée jusqu’au 23 mars 2025.

Le catalogue est préfacé par Alain Malraux.

 

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