Céleste Albaret fut la gouvernante et l’unique confidente de Marcel Proust pendant les huit dernières années de sa vie. Après la mort de l’auteur elle refusera tous les interviews, toutes les propositions de livre mais se décidera finalement sur le tard à raconter « parce que trop de choses fausses ont été écrites par des gens qui ne l’ont connu que par les livres »
Ce n’est qu’à l’âge de quatre-vingt-deux ans, soit cinquante ans après la disparition de Proust qu’elle accepte de lui rendre un dernier devoir en confiant ses souvenirs au journaliste Georges Belmont qui se charge de les transcrire et de les publier sous le titre de M. Proust aux éditions Laffont.
On peut parfois mettre en doute son témoignage, aveuglée qu’elle est par l’admiration sans limite qu’elle porte à son illustre protégé mais le témoignage demeure passionnant et révèle certains traits de caractères et des détails de la vie de l’écrivain qui sont passionnants.
Nous nous sommes largement inspirés de cet ouvrage pour la rédaction de cette rubrique.
Célestine Augustine Gineste est née le 17 mai 1891 à Auxillac, hameau de Lozère dépendant de la commune de La Canourgue.
A l’âge de 22 ans elle épouse Odilon Albaret, chauffeur de taxi à Paris dont Marcel Proust est un client régulier Elle se fera appeler désormais Céleste Albaret. Dès la noce finie, le ménage s’installe en région parisienne, à Levallois, dans l’appartement d’Odilon. Céleste qui n’a jamais quitté sa province natale éprouve quelques difficultés pour s’habituer à sa nouvelle vie d’autant plus qu’elle se retrouve bien souvent seule dans l’appartement.
Un jour qu’Odilon doit se rendre chez Marcel Proust il propose à sa jeune femme de l’accompagner. Céleste n’oubliera jamais cette première rencontre :
M. Proust est venu à la cuisine. Je le revois toujours. Il était seulement habillé d’un pantalon avec un veston sur sa chemise blanche. Mais tout de suite il m’a fait impression. Je vois ce grand seigneur qui entre. Il faisait très jeune, mince mais pas maigre, avec une très jolie peau et des dents extrêmement blanches, et aussi cette petite mèche sur le front, que je devais toujours lui voir et qui se faisait toute seule. Et puis cette élégance magnifique et cette façon curieuse, cette espèce de retenue que j’ai remarquée ensuite chez beaucoup d’asthmatiques, comme pour économiser leurs forces et leur souffle. A cause de cette gracieuseté, il y a des gens qui l’ont imaginé plutôt petit ; mais il était grand comme moi, et je ne suis pas petite, puisque je mesure près d’un mètre soixante-douze.
Bientôt Proust demande à Céleste de faire la commissionnaire en allant apporter des exemplaires de ses livres à ses amis et connaissances. C’est ainsi que la jeune femme découvre Paris. Le temps passe et Proust sollicite Céleste de plus en plus souvent jusqu’à lui demander d’assurer une présence à son domicile au cas où il aurait une commission à lui confier.
A partir de décembre 1913, les événements se bousculent. Le volume « Du côté de chez Swann » est sorti en librairie et Céleste multiplie ses missions de « courrière » ainsi que Proust les appelle. Au même moment le ménage de domestique qui est au service de Proust rencontre des difficultés et Céleste est sollicitée de plus en plus fréquemment. On imagine l’étonnement et la crainte de cette toute jeune femme, récemment arrivée de sa Lozère natale et rentrant pour la première fois dans la chambre de l’écrivain, pièce sombre emplie de fumée, les murs tapissés de plaques de liège, les volets, les doubles fenêtres et les rideaux fermés pour empêcher le bruit d’arriver jusque là. Proust faisait brûler de la poudre de fumigation parce qu’il souffrait terriblement de l’asthme, je ne m’attendais pas à ce nuage. La chambre était très vaste, et pourtant elle en était pleine et toute épaissie. Il n’y avait d’allumée qu’une lampe de chevet, qui donnait une petite lumière, verte à cause de l’abat-jour. J’ai vu un lit de cuivre et un pan de drap, avec le vert de la lumière sur le blanc, là où elle le touchait. De M. Proust, je ne distinguais que la chemise blanche sous un gros tricot et le haut du corps adossé à deux oreillers. La figure était perdu dans l’ombre et dans le brouillard de la fumigation, complètement invisible, à part les yeux qui me regardaient, je les sentais plus que je ne les voyais. …J’ai salué cette figure invisible et j’ai posé le croissant dans sa soucoupe sur le plateau. Il m’a seulement fait un signe de la main, qui devait être un remerciement, mais sans prononcer une parole. Et je suis repartie.
Chambre de Marcel Proust rue Hamelin
L’écrivain mène une vie très particulière, il est malade et vit déjà en reclus exigeant beaucoup de soins, d’attentions, de minutie. L’appartement du boulevard Haussmann est un petit monde fermé dans lequel Proust est attentif au moindre détail. Très vite Céleste apprend à connaître le règlement tacite qui règne dans l’appartement et à répondre avec une attention et une gentillesse infinies à toutes les sollicitations de l’écrivain, de jour comme de nuit. De simple commissionnaire elle devient une présence indispensable. La voilà bientôt enfermée avec l’écrivain pour neuf années, installée comme lui dans une vie de recluse, peu à peu elle entre dans la vie intime de Proust
Céleste fait tout pour se perfectionner dans les habitudes de la maison. Chaque détail compte et Proust ne supporte aucun manquement au cérémonial habituel. La préparation du petit déjeuner qui à l’époque est presque tout son repas demande un soin tout particulier qu’il faut respecter à la lettre :
… d’abord il n’est pas question de se servir d’une autre espèce de café que du Corcellet. Et il fallait en plus aller le chercher là où on le torréfiait dans une boutique du XVIIIème, rue de Lévis, pour être bien sûr qu’il soit frais et bon, avec tout son arôme. Ensuite, il y avait le filtre, qui était aussi un filtre Corcellet, et il n’était pas non plus question d’en changer, même le petit plateau était Corcellet. On bourrait le filtre de café moulu très fin, et pour obtenir l’essence que voulait M. Proust, l’eau devait passer lentement, longtemps, goutte à goutte, pendant qu’on maintenait le tour au bain marie, naturellement. Et il fallait la mesurer pour que cela donne deux tasses, juste le contenu de la petite cafetière en argent, de façon qu’il y en ait un peu en réserve…
Céleste est subjuguée par la personnalité de son maître, mélange de fragilité, de force et de douceur à la fois. Marcel Proust qui n’aime pas les nouveaux visages ni les changements semble pourtant conquis par la bonne volonté, le naturel et la fraîcheur de cette jeune et jolie femme.
Madame, vous avez déjà mon habitude, et moi aussi j’ai maintenant l’habitude de vous.
C’est avec elle que Proust entreprend un nouveau voyage à Cabourg. Ce voyage sera le dernier voyage de Marcel Proust. « Ma chère Céleste, il y a une chose que je dois vous dire. J’ai fait ce voyage à Cabourg avec vous, mais c’est fini : je ne ressortirai jamais plus ».
Ses liens avec la jeune femme se resserrent, désormais il l’appelle par son prénom et très vite elle perd son statut de domestique pour devenir tout à la fois sa gouvernante mais aussi la confidente et l’amie qu’elle demeurera jusqu’à sa mort. Au fur et à mesure où Céleste sent que la confiance de Proust augmente, elle-même se sent avec lui plus libre de parole et d’attitude mais il est tout de même étrange que cette jeune femme accepte cette nouvelle vie à laquelle rien ne l’avait préparée. Elle-même en est étonnée. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept Céleste ne vit que pour lui, adopte son rythme complètement décalé ou l’on vit surtout la nuit et l’on dort, très peu, le jour. On petit déjeune à l’heure où les gens se mettent à table pour le repas du soir :
« Au fond, nous étions un peu orphelins tous les deux, lui, ses parents morts, ses amis dispersés, et moi, ma famille au loin, mon mari à la guerre, puis mon père et ma mère morts aussi. Si bien que nous avons fait entre nous une sorte de foyer d’intimité, à cette différence que, pour lui, c’était surtout un cercle de travail, tandis que j’oubliais mes tâches pour ne plus voir que le cercle enchanté.
Nous avions nos veillées, pour ainsi dire, sauf que,comme la nuit était le jour, elles commençaient en général vers deux ou trois heures du matin, guère avant, quand il rentrait d’une sortie ou qu’il s’arrêtait de travailler, s’il n’avait pas bougé de sa chambre. Plus c’est allé, plus ces veillées se sont prolongées. D’abord, il me libérait vers cinq ou six heures du matin, peut-être sept heures ; ensuite, il a pris l’habitude de me rappeler ; c’est devenu huit heures, neuf heures, parfois neuf heures et demie. Cela m’était égal : au bruit de la sonnette j’arrivais aussitôt, les cheveux dans le dos comme je l’ai déjà raconté, toujours souriante et prête à l’écouter, même si le coup de sonnette m’avait réveillée dans un début de premier sommeil.
Moi je n’éprouvais pas de contrainte. Et il est probable qu’une des choses qui a le plus fait pour sa confiance et notre intimité par la suite, c’est que j’avais toujours le sourire quand j’entrais dans sa chambre.
Céleste ne fait le ménage de la chambre de Marcel Proust que lors de ses sorties nocturnes. Elle se plie à tous ses caprices avec une patience étonnante. Par exemple il faut mettre à sa disposition des piles de mouchoirs très fins car lorsqu’il s’est essuyé le nez avec l’un d’eux, sans se moucher jamais, il le jette par terre. Elle lui prépare ses boules d’eau chaude, s’occupe de la garde-robe, mais jamais au grand jamais ne voit Proust à sa toilette, c’est le domaine interdit de cet homme d’une grande pudeur. Pour cette toilette, il se tamponne le corps avec des serviettes qu’il jette ensuite par terre, il en utilise ainsi une vingtaine chaque jour. Il ne couche jamais deux nuits de suite dans les mêmes draps.
Il passe le plus clair de son temps à travailler allongé sur son lit, les jambes repliées, ses genoux lui servant de pupitre, soutenu par deux oreillers et emmitouflé de lainages superposés et de châles tant il est frileux. Le plus extraordinaire est que, malade comme il est, il ne cesse de travailler ne se nourrissant parfois pour toute la journée que d’un café accompagné d’un croissant et de lait lui aussi chauffé et servi selon un cérémonial immuable. Ses caprices sont nombreux et Céleste les satisfait tous, sans broncher. Il était fin gourmet – rapporte t’elle – ou plutôt l’avait été. Je voyais bien que ses envies le prenaient comme des coups de souvenir. Proust souhaite-t-il au milieu de la nuit manger une glace et le mari de Céleste va avec son taxi chercher l’entremet souhaité au Ritz où l’on fabrique les meilleures glaces de Paris, mais souvent, une fois servi, Proust goûte une cuillerée et repousse son assiette à peine entamée. Une autre fois c’est un gâteau au chocolat qu’on va chercher chez Latainville rue de la Boétie, une autre fois encore une poire. Lorsqu’il se lève pour sortir il laisse son lit jonché de journaux, de revues et de petits papiers sur lesquels il a pris des notes. Céleste les range soigneusement sans jamais rien jeter.
Elle ferme les yeux sur les défauts de Proust, sur ses amours interdites et va même jusqu’à contester contre toute évidence la réputation d’inversion faite à son maître. Durant les neuf années pendant lesquelles elle a vécu dans son intimité, pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle déclare n’avoir jamais eu connaissance de la moindre liaison homosexuelle de son protégé ni reçu de lui aucune confidence sur ce sujet. Ainsi réfute-t-elle la liaison que Proust a eue avec un de ses chauffeurs, Agostinelli, qui lui a servi de modèle pour le personnage d’Albertine. Si Proust ne s’est pas confié volontiers sur ses tendances homosexuelles, ce qui d’ailleurs paraît compréhensible, il aime rappeler ses souvenirs et c’est volontiers qu’il raconte à Céleste ses années de jeunesse, sa vie mondaine. Parfois, au retour d’une réception, au milieu de la nuit, il appelle Céleste et lui propose de l’accompagner dans le petit salon « juste un petit moment », petit moment qui dure naturellement des heures. Il s’installe dans un fauteuil devant la bibliothèque et raconte à Céleste des épisodes de sa vie, lui parle de sa famille, surtout de sa mère et de sa grand-mère pour lesquelles il reconnaît avoir éprouvé un immense amour. Il a admiré son père, plus sévère, devenu une sommité dans le milieu médical mais qui était inquiet de voir son fils désœuvré trop mondain à son goût. Il lui fait également des confidences sur certaines personnalités rencontrées récemment, lui fait des descriptions d’une grande précision des personnes qu’il a rencontré, de leur aspect physique, de leur caractère, de leur toilette. Il enregistre tous ces détails avec précision dans sa mémoire pour s’en servir comme matériaux dans ses écrits à venir.
Céleste est l’obéissance même, Proust lui conseille de lire, elle lit et y prend plaisir « Je me souviens même qu’il m’a conseillé Les Trois Mousquetaires. Je l’ai lu et cela m’a passionnée ». Il lui explique la politique en lui faisant la lecture des journaux et en les lui commentant, « pour votre éducation » disait-il.
Le refus de Gallimard d’assurer la publication en 1913 de « du Côté de chez Swann » a fortement marqué Proust. C’est André Gide qui travaille chez cet éditeur qui, semble-t-il a refusé le manuscrit et Proust est même persuadé qu’il ne l’a même pas lu. De plus, il apprend que Gide aurait confié à un de ses amis ces paroles terribles : « Notre maison publie des œuvres sérieuses. Il est hors de question qu’elle puisse éditer une chose comme celle-ci, qui est de la littérature de dandy mondain ». Bien vite Gide prend conscience qu’il a commis une grosse erreur en refusant le roman de Proust et il fait pour se faire pardonner. Il ne veut pas cette fois manquer la publication des « Jeunes filles ». Au cours d’une entrevue avec Proust il déclare : « Oui, Monsieur Proust…oui je vous le confesse… c’est la plus grande erreur que j’aie commise dans ma vie ». Il ira même jusqu’à lui écrire : « Depuis quelques jours je ne quitte plus votre livre ; je m’en sursature avec délices ; je m’y vautre ». Des années plus tard, Proust riait encore de cette lettre. Finalement Gide obtiendra ce qu’il voulait et la publication de « A l’ombre des jeunes filles en fleurs » sera assurée par les éditions Gallimard (voir genèse de l’écriture de « la Recherche »).
Le 11 décembre 1919 vers cinq heures du soir Gaston Gallimard se présente au domicile de Marcel Proust pour lui annoncer que le prix Goncourt vient de lui être attribué pour son livre « A l’ombre des jeunes filles en fleurs ». Proust qui n’a rien oublié prend un malin plaisir à faire dire à Céleste » je le remercie infiniment de s’être dérangé, mais je ne suis pas en état de le voir … qu’il revienne à dix heures du soir… ou demain ». Finalement sur son insistance Gallimard rencontre Proust le soir même. Pour Céleste Albaret, Proust était très fier d’avoir été distingué ainsi par ses pairs bien qu’il ne veuille pas le reconnaître. Proust est un homme qui a toujours eu une haute opinion de lui-même et la modestie n’est pas son fort. Céleste nous rapporte ces paroles peu modestes qu’il prononce à la fin de sa vie : « Quand je serai mort, vous verrez ce que je vous dis : on me lira, oui le monde entier me lira. Vous assisterez à l’évolution de mon œuvre aux yeux et dans l’esprit du public. Et vous verrez Céleste, rappelez-vous bien cela : que si comme il est dit dans cet article, Stendhal a mis cent ans pour être connu, Marcel Proust, lui, mettra à peine cinquante ans. »
Bien qu’épuisé par la maladie, il se force à sortir le plus souvent possible, toujours à la recherche d’idées nouvelles, de personnages, de décors, de tenues vestimentaires dont il alimentera ses livres. Il rencontre ainsi des personnes célèbres qu’il apprécie plus ou moins : Paul Bourget, Charles Gounod, Jules Renard, Forain, Degas, Mauriac, Cocteau et bien d’autres encore. L’un d’eux cependant tient une place à part. Il s’agit du comte Robert de Montesquiou, que Proust a connu à l’âge de vingt-deux ans et qui l’a profondément marqué. C’est de ce personnage qui ne cache pas son homosexualité que Proust s’inspirera pour créer le personnage de Charlus l’un des acteurs essentiels de la Recherche.
Proust reçoit parfois dans sa chambre mais assez rarement. Sa crainte d’attraper des virus l’amène dans certains cas à porter des gants lorsqu’il reçoit certaines personnes qu’il connaît peu. De temps en temps il invite des amis proches à des dîners en petit comité qui sont préparés par Céleste ; il demande ensuite à Céleste son avis sur la personne qu’il vient de recevoir. Lorsqu’il veut rencontrer des gens en plus grand nombre, Céleste de se charge d’organiser le repas à l’extérieur, généralement chez Larue, à l’hôtel Crillon ou au Ritz. Proust est très généreux et ne regarde pas à la dépense. Une nuit il fait venir chez lui à grands frais (plusieurs milliers de francs) un célèbre ensemble musical qui joue dans son salon le Quatuor de César Franck qu’il apprécie tout particulièrement.
Au cours des dernières années, Céleste participe à la mise en forme de l’œuvre de Proust, elle prend des notes sous sa dictée, rassemble et vérifie certaines informations. C’est elle qui donne à l’écrivain l’idée des paperoles, ces bandes de papier collées à l’original qui permettent de rajouter des corrections au manuscrit.
Après la, mort de ses parents, Proust s’était installé en 1906 dans un appartement au 102 du boulevard Haussmann qui appartenait à son grand-oncle Louis. Il a toujours apprécié ce logement, se sentant parfaitement bien parmi les meubles de son choix les plus chargés de souvenirs. En 1918 la tante de Proust vend l’appartement sans le prévenir. Proust considère cela comme une trahison et en souffre beaucoup. Après plusieurs mois de recherche, il s’installe pour quelques temps dans un appartement situé rue Hamelin. Peu satisfait, il déménage à nouveau, cette fois rue Laurent-Pichat près de l’avenue Foch, dans un appartement faisant partie de l’hôtel particulier de la grande comédienne Réjane que Proust admire tant. Mais là encore, il ne se sent pas chez lui et les recherches se poursuivent et c’est finalement au 44 rue Hamelin que Proust s’installe au 4ème étage en 1919. Il fait exécuter des travaux contre le bruit et pour plus de sécurité encore, il loue au propriétaire l’appartement situé à l’étage supérieur. La vie s’organise mais l’appartement est beaucoup plus petit que celui du boulevard Haussmann et il n’a pas été possible d’y mettre tous les meubles familiers. Proust ne supporte pas le chauffage central à cause de son asthme mais les cheminées du nouvel appartement sont petites et le tirage fonctionne mal : « Cette fumée me rend malade, Céleste. J’en ai le goût du bois dans la bouche et dans les bronches. Je ne peux plus respirer. Il faut arrêter cela…
L’appartement est glacial et humide et Proust de plus en plus frileux doit enfiler une couche supplémentaire de laines et de châles. Il est conscient que sa santé décline et sent que la mort le talonne ; Sa crainte est de ne pouvoir finir son œuvre. Une nuit, vers quatre heures, Proust sonne Céleste qui accourt inquiète. Contrairement à son habitude Proust l’accueille avec un petit sourire puis il reprend : Vous savez, il est arrivé une grande chose cette nuit… cette nuit, j’ai mis le mot « Fin »… Maintenant je peux mourir. ». A cet instant, Céleste sent en lui une explosion de satisfaction et de joie.
Cependant il continue à travailler comme à l’accoutumée, il corrige sans cesse les manuscrits d’Albertine disparue, Le temps retrouvé et les épreuves de La Prisonnière. Céleste l’aide toujours à coller les becquets et autres paperolles, mais sa santé se dégrade rapidement, son corps est usé, il ne dort plus, il ne mange plus. Ses sorties s’espacent de plus en plus. La dernière date d’octobre 1922 chez le comte et la comtesse de Beaumont durant laquelle il prend froid et la grippe s’installe. Proust refuse les soins de son médecin et de son frère Robert lui-même docteur. Seul breuvage qu’il tolère, un peu de café mais surtout de la bière fraîche que le fidèle Odilon va chercher aux cuisines désertes du Ritz.
Céleste le veille avec une abnégation remarquable. Elle est épuisée mais refuse de quitter le chevet de son malade. La grippe a évolué en pneumonie. Son médecin lui fait des injections contre sa volonté, on lui pose des ventouses, on lui administre de l’oxygène mais rien n’y fait et Proust s’éteint le 18 novembre 1922 à quatre heures et demie de l’après-midi en présence de son frère Robert et bien sûr de chère Céleste.
Céleste en 1980
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Un après-midi chez Céleste
Auxillac